Le 24 septembre 1803 (1er vendémiaire an XII), l'armée révolutionnaire française est réorganisée par Napoléon Bonaparte, alors premier consul. L'institution du tirage au sort (loi du 29 décembre 1804) a pour effet que le service militaire ne touche que 30 à 35 % des conscrits célibataires ou veufs sans enfant1, chaque canton ne devant fournir qu'un contingentement d'hommes qui sont groupés, après affectation, en détachement dont les officiers de recrutement prennent ensuite la charge. Certains préfèrent rejoindre le dépôt de leur régiment par leurs moyens personnels ou reçoivent leur feuille de route pour rejoindre leurs cantonnements lorsque l'armée est en campagne. Entre 1804 et 1813, 2 300 000 Français sont ainsi appelés2. La légende noire de Napoléon forgée à la Restauration veut qu'il ait plongé l'Europe dans un état de guerre continuel, comme l'atteste la déclaration du député de Bordeaux Joachim Lainé qui accuse la conscription d'être devenue « pour les Français un odieux fléau, parce que cette mesure a toujours été outrée dans son exécution », décimant la population des campagnes. En réalité, sous l'Empire, 7 % à 8 % des Français en âge de porter les armes sont appelés sous les drapeaux alors que les prélèvements opérés durant la Première Guerre mondiale représentent 20 à 21 % de la population3.
La Grande Armée
Réforme militaire
Sa création
Voulant envahir l'Angleterre à la suite de la rupture de la paix d'Amiens, Napoléon reconstitua l'armée des côtes de l'Océan et l'installa au camp de Boulogne en 1804. La coalition formée par l'Angleterre, l'Autriche et la Russie changea les plans de ce débarquement et Napoléon décida que pour affronter cette troisième coalition, il fallait envoyer son armée de conscription vers l'Autriche. La première citation de l'appellation « Grande Armée » apparut dans une lettre de l'empereur au maréchal Berthier le 29 août 1805, jour où Napoléon leva le camp de Boulogne pour emmener ses hommes vers le Rhin3. Les bulletins qui racontaient les exploits de cette armée lors des batailles d'Ulm et d'Austerlitz s'appelaient le Bulletin de la Grande Armée diffusé dans toute la France, popularisant le terme de « Grande Armée »4. Elle comportait au départ sept corps d'armée (surnommés « les sept torrents » commandés par les maréchaux Bernadotte, Davout, Soult, Lannes, Ney et Augereau et par le général Marmont) qui s'illustrèrent lors des campagnes de 1805, 1806 et 1807 (ils sont rejoints le 1er octobre 1806 par le 8e corps sous Mortier et le 9e – composé des alliés bavarois, badois et wurtembergeois de la France – sous le prince Jérôme Bonaparte, en 1807 par le 10e corps sous Lefebvre). Elle fut ébranlée le 8 février 1807 lors de la bataille d'Eylau où elle perdit 8 % de ses effectifs et contraint Napoléon à faire appel à des contingents étrangers5. Toutefois, la victoire finale à Friedland fut essentiellement remportée par les vétérans français de cette Grande Armée (voir ordre de bataille de Friedland).
La Garde Impérial
Unité d'élite servant originellement de garde rapprochée à Napoléon, la Garde impériale devient un corps d'armée à part entière le 18 mai 1804 (28 floréal an XII)4. La Garde impériale constitue la force sur laquelle l'Empereur peut s'appuyer en toutes circonstances. Il dira à Sainte-Hélène les mots suivants : « Jamais il n'y eut un plus bel assemblage d'hommes intrépides que dans ce corps d'émulation et de récompense où l'on était admis qu'avec des qualités physiques et morales longuement éprouvées5. » Généralement gardée en « réserve tactique », elle est engagée comme « troupe de choc » faisant la décision au moment crucial des batailles livrées par l'Empereur : c'est ainsi qu'elle joue un rôle déterminant lors de la bataille d'Eylau livrée le 8 février 1807. Lors de la bataille de Waterloo livrée le 18 juin 1815, ultime combat auquel il prend part, Napoléon fait donner la Garde vers 19 heures 30, au moment où les Alliés semblent prendre un avantage considérable. L'échec de l'attaque de la Garde et son recul scellent définitivement le sort de la bataille et entraînent la débâcle de l'armée napoléonienne6. La Garde impériale est articulée en trois composantes : la « Vieille Garde », composée des vétérans, la « Moyenne Garde » et la « Jeune Garde » qui mêlent régiments d'infanterie et de cavalerie. De nombreuses unités y sont rattachées, sans toutefois en faire organiquement partie, comme les Gardes d'honneur levés en 1813.
La plus Grande armée du siècle
La deuxième Grande Armée fut créée officieusement à la fin de l'année 1811 (note de Berthier) en préambule à la campagne de Russie7. Sa composition est toutefois beaucoup moins homogène que la « Première » avec notamment l'intégration de très larges contingents étrangers et le recours de plus en plus régulier à la conscription pour compenser les pertes françaises. En 1813-1814, on assiste ainsi au gonflement considérable des effectifs de la Garde (environ 50 000 hommes en 1812, 90 000 en 1813, 110 000 en 1814). Cette inflation s'explique par la création, à côté des unités mises sur pied dans l'infanterie de ligne ou légère par l'incorporation des Marie-Louise, les jeunes conscrits qui combattent aux côtés des vieux grognards, de nouveaux régiments, notamment 19 régiments de voltigeurs et 19 régiments de tirailleurs, et par l'essor pris par la Jeune Garde, décisive lors des campagnes d'Allemagne en 1813 et de France en 1814. Elle combattit quasiment continuellement depuis le début de la campagne de Russie en juin 1812 jusqu'à la fin de la campagne de France en avril 1814.
Elle atteignit un maximum de 680 000 hommes9 en 1812, au départ de l'invasion de la Russie. En réalité, cette armée n'était plus à proprement parler "française" ; Madame de Staël l'a bien remarqué, notant au sujet de l'armée de Napoléon : « Ses armées, par-delà le Rhin, ne tenaient plus à la France ; elle ne défendaient plus les intérêts de la nation, elles ne servaient que l'ambition d'un seul homme ; il n'y avait rien en cela qui pût réveiller l'amour de la patrie ; et loin de souhaiter alors le triomphe de ses troupes, étrangères en grande partie, on pouvait considérer leurs défaites comme un bonheur même pour la France »10. Ainsi cette armée, recrutée parmi les diverses populations européennes, comprenait :
- 350'000 Français
- 98'000 Biélorusses, Polonais et Lituaniens
- 35'000 Autrichiens
- 25'000 Italiens
- 24'000 Bavarois
- 20'000 Saxons
- 20'000 Prussiens
- 17'000 Westphaliens
- 15'000 Suisses
- 4'000 Espagnols
- 4'000 Portugais
- 3'500 Croates
Une armée mobile
Napoléon fait parcourir de très grandes distances à son armée (30 km par jour en marche normale, 50 km en marche forcée, voire plus comme ce fut le cas du corps de Davout, et en particulier de la division Friant, la veille d'Austerlitz, ce qui provoque des pertes dans les régiments : des soldats tombent de fatigue ou se cassent les pieds en marchant11), et très rapidement, la rapidité de manœuvre est un élément décisif de ses victoires (voir notamment Austerlitz, Friedland). Au total, c’est par dizaines de milliers qu'il faut compter les kilomètres parcourus par les soldats, qui de 1805 à 1814 prennent part aux campagnes d'Autriche, d'Allemagne, d'Espagne et de Russie. Cette mobilité est due en partie à la division de la Grande Armée en plusieurs corps d'armée. La Grande Armée bénéficie ainsi d'une grande mobilité stratégique qui lui confère un ascendant décisif sur ses adversaires12. Cette mobilité est toutefois très réduite pendant la campagne de Russie, une partie de l’intendance utilisant des chars à bœufs.




